Lettre ouverte à nos amies féministes
Nous avions jadis les mêmes ennemis : le patriarcat et les lois divines
Ce message, certes chargé de colère, s’adresse à certaines de nos camarades féministes engagées dans les luttes antiracistes, altermondialistes, traversées par une certaine culpabilité coloniale et postcoloniale.
Militantes et/ou chercheuses, porteuses des valeurs féministes, nous n’arrivons pas à concevoir, à comprendre ni à accepter votre engagement aux côtés de celles qui se nomment « féministes musulmanes et/ou voilées », aux dépens des féministes laïques.
Nos chères amies, camarades, compagnes de luttes, féministes, nous allons vous raconter une histoire, notre histoire.
À la veille du 40ème anniversaire du Mouvement de Libération des Femmes et sans revenir sur toutes les luttes qui ont précédé et aboutit à ce mouvement, nous sommes interpellées par notre conscience, nos aspirations, nos rêves et nos utopies.
Que nous soyons originaires d’Iran, d’Algérie, d’Afghanistan ou du Pakistan, ce n’est pas de gaieté de cœur que nous avons quitté nos terres d’enfance.
Aujourd’hui, nous nous retrouvons unies dans une terre laïque où la liberté de conscience est garantie par la loi, où les luttes pour l’égalité des droits est possible, quoiqu’ardue.
Ardue, car l’égalité des droits et des sexes est indissociable des luttes sociales, économiques, culturelles et éducationnelles.
Tout cela nous l’avions compris de là où nous étions, vos luttes étaient les nôtres, votre libération prédisait la nôtre. Nous suivions vos cheminements et vos acquis nous renforçaient dans nos convictions et dans la poursuite de nos luttes.
Votre force, votre entente, au-delà de vos différences partisanes, pour arracher le droit à la contraception, à l’avortement, à la reconnaissance de l’homosexualité, au PACS et plus loin, dans l’histoire, au divorce étaient une source d’encouragement, pour nous, dans nos luttes contre la polygamie, la minorité des femmes à vie et le non droit de disposer de nous- mêmes.
Vos luttes et les nôtres avaient, alors, les mêmes ennemis : le patriarcat et « les lois divines ».
L’instauration des « lois divines » dans nos différents pays, les violences et les actes terroristes qui sont perpétrés contre les femmes et les hommes porteurs des valeurs laïques de liberté de conscience ont poussé beaucoup d’entre nous au départ.
Nous sommes arrivées avec l’expérience de nos luttes inachevées, avec, comme seuls bagages, nos rêves, nos utopies, notre quête de liberté et de démocratie.
Une démocratie où la laïcité fondamentale, solide et vidée de toute croyance religieuse, fait place à la liberté de matérialiser des rapports humains dans un monde vivable pour toutes et tous.
C’est dans cet état d’esprit que nous vous rejoignions, tout en ayant la conviction que ni les discours trompeurs, ni les alliances contre nature et partisane ne peuvent venir à bout de nos luttes communes.
Chères camarades de luttes, d’Amour, d’Amitié et de liberté, nous sommes là à vos côtés et ensemble dans les mêmes luttes ici ou là-bas.
Avec vous nous luttons pour une réelle égalité dans les institutions politiques, pour l’égalité des salaires entre hommes et femmes, contre toutes les publicités sexistes, pour protéger des droits durement acquis, aujourd’hui fortement menacés (le Planning Familial privé de son financement, la loi 1905 menacée…), avec vous et ensemble contre la marchandisation des corps des femmes et contre toutes les violences faites aux femmes tous les jours.
Nous sommes avec vous, à vos côtés et ensemble, mais vous, l’êtes-vous réellement ?
Chères amies
Nous sommes arrivées avec les mêmes désirs de liberté, les mêmes regards portés sur le présent et l’avenir. Un avenir d’égalité hommes-femmes, d’égalité hétérosexuel-le-s/homosexuel-le-s et d’égalité sociale ; mais, voilà, aujourd’hui, vos regards se détournent de nous, vos mains se tendent vers celles et ceux qui nous obligent à l’exil, votre fascination va vers celles et ceux qui placent les « lois divines » au dessus de tout.
Des « lois divines » où charité ne peut pas rimer avec solidarité citoyenne. L’égalité des sexes ne peut pas se conjuguer avec patriarcat et suprématie de l’homme. Homosexualité et libres désirs ne peuvent pas se retrouver dans le même lit que procréation et soumission.
L’adage qui énonce que « l’ennemie de mon ennemie est mon amie » ne peut être l’apanage des féministes : souvenez-vous des conséquences de l’alliance islamistes et communistes en Iran, et ce qui arriva à ces derniers une fois les islamistes au pouvoir. Au quotidien, des femmes sont menacées, emprisonnées, arrêtées, lapidées, meurtries. Entendez-vous leurs cris de liberté ? Ou seulement leurs échos, écoutez… !
Aujourd’hui, il est encore temps de nous ressaisir, de redonner au féminisme ses véritables fondements et sa vocation universaliste en tant que femmes de gauche luttant pour les droits de toutes les femmes, où qu’elles soient et quelles que soient leurs origines ou leurs couleurs en ayant toujours à l’esprit que les lois doivent être là pour garantir les libertés de conscience et empêcher que les lois et les règles communautaristes ne redonnent toute sa place au patriarcat.
N’existe-t-il pas des lieux, des structures et des groupes qui portent différentes luttes quelles que soient les valeurs que nous défendons ? Aujourd’hui, au nom des valeurs et des luttes et du projet de société que nous partageons avec vous, nous vous interpellons haut et fort pour nous répondre et nous expliquer votre fascination pour des femmes qui mettent la loi divine au-dessus de tout. Au nom de ces dernières, les femmes sont tout simplement niées dans leur existence.
Est-ce de l’exotisme ? Nous ne pouvons croire cela. Est-ce de la naïveté politique ? Nous n’osons croire cela ? Est-ce une alliance conjoncturelle contre l’impérialisme et le capitalisme américains ? Si c’est le cas, nous nous demandons où en est l’indépendance et l’autonomie des femmes par rapport aux partis.
Il nous arrive, parfois, de nous questionner sur la place des chercheuses féministes, leurs démarches par rapport aux appels à projets et aux commandes des institutions, la laïcité étant menacée de toute part.
Nous vous interpellons, car notre place est avec vous et votre combat est avec nous.
Nous, Féministes laïques,
Chères amies, à bientôt…
Féministes laïques algériennes et iraniennes
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La légitimité du féminisme laïque
Par les
Féministes laïques algériennes et iraniennes
Chers ami-e-s, cher-ères camarades de lutte,
Après la large diffusion de notre lettre-colère, vous avez été nombreuses et nombreux à nous écrire (près de 5000) pour nous encourager, nous proposer de réfléchir ensemble sur quelles solidarités, quelles passerelles et surtout quelles réponses à proposer quant à la légitimité de porter notre message. Paris, le 5 juin 2009.
Il nous semble que le féminisme en tant que pensée politique, philosophique et sociale, fondée sur l’égalité des sexes et la justice sociale transcende les frontières, les « races » et les couleurs. À ce titre, ne renferme t-il pas en lui-même une pensée universelle ?
Que l’on soit en France, au Québec, en Angleterre, en Algérie ou en Iran, notre quête d’égalité, de liberté, de liberté de conscience, de justice sociale et, par là même, nos luttes contre les lois et les comportements sexistes, les inégalités sociales, économiques, culturelles, le racisme et l’antisémitisme ne se retrouvent que sur le terrain d’un féminisme laïque.
Ce sont tous nos principes et toutes nos valeurs communes qui nous ont convaincues et continueront à nous convaincre de l’universalité du féminisme.
Le relativisme culturel en matière de féminisme ne peut être qu’une autre forme de racisme où les femmes « originaires du sud » seront exclues de toutes les chartes des libertés et même de la déclaration universelle des droits de l’Homme, car elles sont susceptibles de porter « une » autre culture. Ce qui n’empêche, en aucune façon, la réflexion globale et les actions locales.
Il serait donc judicieux et honnête intellectuellement d’indiquer et d’expliquer les subtilités qui existent entre culture, religion et identité.
Politiquement et publiquement, ce sont les valeurs du féminisme et de la laïcité qui nous donnent une identité commune ; ce sont nos différents vécus, expériences et connaissances qui enrichissent nos cultures et leur permettent de trouver des points de convergence. Quant aux religions, nous estimons et faisons en sorte qu’elles ne dépassent pas l’intime et le personnel. Ces dernières ne peuvent, en aucun cas, s’imposer à nos valeurs ou à notre éthique.
C’est dans ce contexte, et non parce que nous sommes de naissance musulmane, que nous nous permettons de remettre en cause toutes les religions, sans pour autant nous sentir ni islamophobes, ni judéophobes, ni christianophobes.
En parlant d’islamophobe, savez-vous qu’au-delà de la date d’apparition de ce terme en 1921 (Etienne Dienet et Slimar Ben Ibrahim), l’Ayatollah Khomeiny et les Mollahs l’ont repris pour désigner les femmes laïques qui manifestaient au lendemain de la révolution iranienne de 1979. Ces femmes refusaient le Shah et le tchador, alors que leurs camarades ne voyaient pas encore les dangers de l’islamisme.
Aujourd’hui, en partant des histoires coloniales et postcoloniales, on veut nous amener à faire l’amalgame entre le racisme et la soi-disant islamophobie.
Nos cher-e-s ami-e-s, n’oubliez pas que ce sont des féministes iraniennes qui ont été traitées d’islamophobes parce qu’elles ont refusé en même temps le voile et le système féodal bourgeois. Ce sont les Algériennes refusant le diktat de l’alliance islamiste/pouvoir qui sont traitées d’impies à tuer, à renier ou à exiler. Ces Algériennes qui portent en elles les traces du colonialisme et ses conséquences postcoloniales ne confondent pas la lutte pour la laïcité, le féminisme et la démocratie avec la quête d’identité.
Ce qui se passe aujourd’hui, au Québec, est la preuve que le colonialisme et le postcolonialisme ne peuvent expliquer à eux seuls la montée du communautarisme et notamment celui lié aux religions (le Québec n’ayant pas eu de colonies est lui-même « settler occupation », faisant partie des pays du nouveau monde).
Dans un monde sans éthique politique, où l’ultralibéralisme et le capitalisme écrasent et broient des femmes et des hommes, où les dictatures font et défont les lois à leur guise en bafouant les libertés les plus fondamentales, et réservent aux religions un rôle social leur servant de caution et de complément, notre combat doit être mené pour protéger les acquis de tant de générations et arracher plus de lois pour la protection sociale des salarié-es et des plus démuni-es. Des lois qui garantissent l’égalité de toutes et tous et qui nous assurent, ainsi qu’aux générations futures, une vie décente et digne où la spiritualité n’est plus un refuge ou un moyen de manipulation, mais un choix personnel et intime que certaines et certains décideront d’adopter ou non.
Ces combats, nous devons les mener ensemble et faire en sorte que chaque féministe laïque, où qu’elle soit, de quelque culture qu’elle soit, et quelles que soient son origine, sa « couleur » ou son orientation sexuelle, les porte sans jamais se poser la question de sa légitimité de penser ou de parler.
Pour celles (et ceux) qui hésitent à dire haut et fort leurs valeurs féministes laïques par crainte d’accusation de « racisme ou d’islamophobie », nous avons confectionné une carte à notre nom qui leur donne toute la légitimité de s’exprimer et de pouvoir exprimer leurs points de vue :
Nous, le groupe « Féministes laïques algériennes et iraniennes »
Donnons les pleins pouvoirs et LEGITIMITE à :
Nom :
Prénom(s) :
Pour pouvoir s’exprimer sur la question féministe laïque sans être traité-e- « de raciste ou d’islamophobe ».
http://sisyphe.org/spip.php?article3309
http://sisyphe.org/spip.php?article3331