Ce que vivent les Rroms

Le punk n'est pas qu'une musique ! Ici on discute de l'actualité, des manifs et des résistances en lien direct avec notre culture. "Make punk a threat again", ça vous dit encore quelque chose ?!
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Framboise
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Ce que vivent les Rroms

Message par Framboise » 30 juil. 2010 12:05

Un beau texte dans Médiapart
Au-delà des incantations et stigmatisations dangereuses : ce que vivent les Rroms
28 Juillet 2010 Par Mireille Alphonse

Çà y est "ils" leur ont déclaré la guerre. Une guerre "courageuse" menée par le gouvernement de la 5ème puissance mondiale à sa population la plus pauvre : les Rroms. Une guerre qui me fait tout simplement honte.

Au terme de la réunion voulue par Nicolas Sarkozy suite aux événements de Saint-Aignan la semaine dernière, le gouvernement annonce qu'il reconduira en Roumanie ou en Bulgarie tous les Roms ayant commis des atteintes à l'ordre public et qu'il démantèlera dans les trois mois la moitié des 600 camps illégaux installés en France par les gens du voyage…

Mélange entre Roms bulgares et roumains et gens du voyage français depuis des générations, stigmatisation d'une population éperdument pauvre, politique du chiffre concernant les expulsions hors du territoire, expulsions de squats et de bidonvilles sans proposer aux familles de solutions de relogement…: tout ceci me révulse profondément. Mais face à cette politique de terreur opposée aux plus démunis, je crois que l'emphase n'est pas ici de mise. Je voudrais juste souligner un certain nombre de faits.

Les violences de Saint-Aignan. Il n'est pas question de les nier. Encore que toute la lumière ne soit pas faite, pour l'instant, sur les circonstances tragiques du décès du jeune homme. Mais laissons justement la justice suivre son cours et punir, le moment venu, les responsables. Où a-t-on vu que face à la violence créée par un petit groupe de personnes, toute une population devait être punie ? ... En France, notamment, il y a environ 65 ans. Veut-on revivre ces sales années ?

Gens du voyage / Rroms bulgares et roumains : les uns sont en France et donc Français depuis des décennies. Majoritairement protestants. Les autres arrivent "chez nous" depuis que la Bulgarie et la Roumanie sont entrées dans l'Union Européenne, le 1er janvier 2007. Ce ne sont pas les mêmes populations!

Loi Besson : (rien à voir avec Eric !). Loi qui date de 1990 et qui stipule que toutes les communes de plus de 5000 habitants doivent proposer une aire d'accueil pour les gens du voyage. Moins de 50 % en ont une 20 ans après et... nous avons tous vu certains de ces lieux, en pied d'autoroute ou en bordure de voie ferrée...

Les Rroms roumains et bulgares: ils étaient littéralement en situation d'esclavage jusqu'en 1856. Aujourd'hui encore, ces deux pays - qui ne sont pas les plus riches d'Europe - les font vivre en général à l'écart : dans des villages éloignés, ultra pauvres, ou dans les banlieues les plus défavorisées des principales villes. Pauvres parmi les pauvres, ces familles arrivent en Europe de l'Ouest parce qu'ils tentent de survivre. Ni plus ni moins.

Nomades : d'une source à l'autre, on estime en moyenne que seuls 5 % d'entre eux sont nomades. Profondément sédentaires, les 95 autres % "bougent" parce qu'ils sont expulsés de villes en villes, de frontières en frontières…

Mendiants ou travailleurs : il faut savoir quelque chose d'insensé. Les Rroms bulgares et roumains, bien qu'Européens comme les Italiens, les Anglais ou les Allemands, ont dans notre pays un statut spécifique. Ils n'ont le droit d'y circuler que durant 3 mois. Au-delà, pour rester de façon légale, il leur faut faire la preuve de ressources suffisantes et d'une assurance maladie. MAIS : au même titre que pour les étrangers non-européens, leurs employeurs potentiels doivent d'abord payer une taxe d'environ 900 euros, proposer un emploi en CDI à plein temps, remplir une demande d'autorisation de travail et la déposer en préfecture. Délai d'attente : au minimum 6 mois en Seine-Saint-Denis. Connaissez-vous beaucoup d'employeurs, actuellement, prêts à débourser 900 euros, puis à attendre des mois pour pouvoir employer, en CDI et à temps plein immédiatement, des personnes en général très peu qualifiées ?

Expulsions : c'est la politique expérimentée à Sangatte, à Calais ou sur les bords du canal de l'Ourcq. On expulse, on "karchérise", mais où reloge-t-on les populations qui en effet vivent dans des conditions indignes ? Nulle part. La République, à de rares exceptions locales près, expulse ses pauvres, elle ne les reloge pas. Conséquences : ils vont s'installer ailleurs, dans d'autres squats, d'autres bidonvilles. Et, monstruosité des monstruosités, des enfants meurent, comme le 26 mai 2009 à Bobigny, le 15 avril 2010 à Gagny, ou le 7 février à Orly dans des incendies d'habitats insalubres.

Alors oui, les Rroms posent des questions politiques de toute première importance à tous les citoyens que nous sommes et il n'est pas question de les minimiser. Comment en effet accueillir les plus pauvres, comment scolariser leurs enfants, former les adultes, leur trouver des emplois, les loger, les soigner, les faire accepter par les autres habitants, comment leur faire découvrir et comprendre les clés d'une culture qui les a toujours rejetés…

Mais je suis certaine d'une chose : le gouvernement actuel ne trouvera aucune réponse adéquate à ces questions. Il est en train de mettre en œuvre de façon systématique exactement l'inverse
"La religion est la forme la plus achevée du mépris."
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Re: Ce que vivent les Rroms

Message par magouille&compagnie » 30 juil. 2010 12:45

Framboise a écrit :Les violences de Saint-Aignan. Il n'est pas question de les nier. Encore que toute la lumière ne soit pas faite, pour l'instant, sur les circonstances tragiques du décès du jeune homme. Mais laissons justement la justice suivre son cours et punir, le moment venu, les responsables.
:shock: Je sais pas si l'auteur du texte ironise ou bien fait preuve d'une grande naiveté .La justice elle va faire quoi ? Et bien elle va coller un truc bien severe au collegue de la victime ; et l'histoire d'une enquète concernant la mort ( le meurtre à mon avis ) du jeune ,c'est de la couille de loup ....
Framboise a écrit :Loi Besson : (rien à voir avec Eric !). Loi qui date de 1990 et qui stipule que toutes les communes de plus de 5000 habitants doivent proposer une aire d'accueil pour les gens du voyage. Moins de 50 % en ont une 20 ans après et... nous avons tous vu certains de ces lieux, en pied d'autoroute ou en bordure de voie ferrée...
Sans oublier près ,voir coller aux décharges , un exemple à la con , à Bourges y'a une aire d'acceuil qu'est juste à coté de la déchèterie , et du centre de traitement des ordures ménagères .Y'a aussi la SPA juste à coté , ça doit ètre sympa les aboiements non stop . Les gens qui ont songé à cet emplacement ont du se dire qu'entre parhias ils devraient s'entendre :roll:
Par delà les miens et les balles ......

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Bibo
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Re: Ce que vivent les Rroms

Message par Bibo » 27 août 2010 18:34

Liberté de circulation, liberté d’installation, non au racisme !


L’été 2010 a connu son lot d’abjections au lendemain du discours prononcé par Nicolas Sarkozy le 30 juillet à Grenoble : l’industrie du charter a tourné à plein régime, les retours prétendument volontaires des Roms vers la Roumanie ont disputé la palme médiatique aux fermetures de campements des gens du voyage pour des prétextes tous plus fallacieux les uns que les autres. La Fédération anarchiste récuse les termes de xénophobie d’Etat utilisés pour qualifier ces événements dignes des heures les plus noires de l’histoire de l’humanité ; si tel était le cas, seuls les ressortissants roumains auraient été victimes des exactions des gouvernants et de leur police. Or les gens du voyage, citoyens de notre république si donneuse de leçons en matière de droits de l’homme subissent le même harcèlement, c’est donc que le problème n’est pas exactement du domaine de la nationalité. Il s’agit plutôt d’un véritable racisme ancré tant dans une société sédentarisée depuis des millénaires et à qui les nomades inspirent une peur fantasmée, que dans les politiques des Etats, quelle que soit leur couleur politique, pour qui les itinérants sans patrie ni frontières sont des sous-hommes qu’on fiche plus que les citoyens dits « normaux », à qui on impose un carnet de circulation à faire viser par la gendarmerie, à qui on refuse l’accès à des campements décents pour mieux les chasser de ceux, insalubres, bruyants et dangereux, où ils ont été contraints de s’installer en désespoir de cause. De ce point de vue, choisir au creux de la torpeur estivale un bouc émissaire dans les populations romes ou dans les gens du voyage procède du même principe que celui qui présida autrefois aux rafles et mena les Gitans dans les camps d’extermination, il est même jusqu’à des députés UMP qui s’en sont émus. Briser la solidarité de classe a toujours été le jeu favori du pouvoir. Tout grossier qu’il est, le procédé n’en est pas moins efficace pour canaliser les ardeurs revendicatrices des victimes de la guerre sociale, comme en témoigne un sondage publié par le Figaro daté du 27 août. Quoi qu’il en soit, le spectacle des hordes policières mettant à sac, brutalisant chacun jusqu’au plus faible, est le même en 2010 qu’en décembre 2002, quand le ministre de l’Intérieur de l’époque faisait fermer Sangatte, qu’en septembre 2009, quand le ministre de l’Identité nationale faisait fermer la jungle de Calais, et la logique qui prévaut dans toutes ces tragédies humaines est la même : seconder le système capitaliste dans son désir de contrôler les flux migratoires au seul profit de ses intérêts, chasser les pauvres improductifs des rares endroits où ils pourraient être un peu moins miséreux. En ce sens, dénoncer la politique des gouvernements roumain et français sans la mettre au regard de l’exploitation capitaliste revient à s’arrêter au milieu du gué ; invoquer la Constitution comme bouclier des opprimés relève de la naïveté, et mêler à une manifestation de solidarité à tous les migrants la célébration du 140ème anniversaire d’une république fondée par un personnel politique qui comptait tous les bourreaux de la Commune, qui pilla par la colonisation les richesses naturelles et humaines de nombre de pays d’Afrique et d’Asie, qui fit tirer sur des grévistes et qui lança la classe ouvrière dans les deux plus grandes boucheries de l’Histoire s’assimile à une manipulation. C’est pourquoi la Fédération anarchiste appelle ses adhérents et ses sympathisants à participer aux manifestations et rassemblements organisés le samedi 4 septembre dans de nombreuses villes de ce pays sur ses propres bases : liberté de circulation, liberté d’installation partout sur la planète, non au racisme d’Etat, oui à la solidarité internationale entre les exploités.

Fédération anarchiste.
Texte extrait de http://www.federation-anarchiste.org
« Enfer chrétien, du feu. Enfer païen, du feu. Enfer mahométan, du feu. Enfer hindou, des flammes. A en croire les religions, Dieu est né rôtisseur. »
Victor Hugo

Panzer

Re: Ce que vivent les Rroms

Message par Panzer » 27 août 2010 20:35

Merci.
J'aurais aimé autre chose que la FA, mais bon, on fera avec ce qu'on a !

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Re: Ce que vivent les Rroms

Message par Framboise » 29 août 2010 12:29

Jeudi 26 août 2010 4 26 /08 /2010 15:47
Cette compagnie aérienne qui collabore aux dernières expulsions de Roms

19 août 2010 : 86 Roms (61 de Lyon-St Exupéry et 25 de Paris-Roissy) sont expulsés en deux vols sur la compagnie low-cost roumaine Blue Air vers Bucarest (Roumanie). Comme les autres vols prévus pour expulser officiellement 850 Roms avant septembre, ils ont été affrétés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

Il s’agit du 25e charter d’expulsés Roms depuis le début 2010 (8313 personnes dont 1291 l’ont été officiellement «de manière contrainte»), tandis qu’en 2009 selon le ministère, 10'000 Roms ont été reconduits en Roumanie ou en Bulgarie à bord de 44 vols, dont environ 30% de retours forcés.

20 août : 124 Roms sont expulsés de Paris-Roissy vers Timisoara (Roumanie) sur un nouveau vol charter de Blue Air.

26 août : Deux nouveaux vols sont prévus ce jour de Paris (158 personnes) et Lyon (125 personnes)… Le ministère précise que 681 ressortissants roumains et bulgares ont été expulsés entre le 28 juillet et le 25 août. Il y a eu 132 départs forcés et 549 «volontaires».

Deux nouveaux vols sont programmés les 14 et 30 septembre.
Image
Note : Blue Air est une compagnie aérienne roumaine charter créée en décembre 2004 et présente dans beaucoup de pays (ici à Paris-Beauvais et Nice). On remarquera que pour faciliter le travail des flics, ses charters d’expulsés de Roms sont partis de l’aéroport de Roissy alors que sa base pour tout un chacun est à Beauvais… Son président est Gheorghe Răcaru.

Agence : 1, Boulevard Pershing, 75017 Paris. 01 45 74 69 83 ; 961 49 65 03

Rappelons aussi que le plus grand expulseur reste Air France, et que c’est l’entreprise Carlson Wagonlit Travel (CWT) qui réserve depuis des années pour le compte du ministère les places d’avion pour les expulsés et leur escorte (et l’hôtel à l’arrivée pour l’escorte). On trouve ses agences dans tous les départements.
Source : Jura libertaire
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Re: Ce que vivent les Rroms

Message par Framboise » 29 août 2010 15:30

Mediapart
Invention sécuritaire et violence pure: appel à une éthique de la résistance

26 Août 2010 Par Pascal Maillard
Pascal Maillard*, qui conduit des recherches sur les rapports entre littérature et politique à l'université de Strasbourg, propose une réflexion d'ensemble sur «l'insécurité et la xénophobie d'Etat». Face à la «violence pure» du gouvernement, il appelle à «une éthique de la résistance».



A Toni Gatlif, aux « Bohémiens en voyage », à tous les sans-papiers,

« Aux captifs, aux vaincus !... à bien d'autres encor ! »


Peu le voient. Certains commencent à le soupçonner. La chose transpire dans maintes analyses, mais n'accède pas à une formulation directe, comme si cette vérité devait demeurer forclose en raison de sa monstruosité. Comme si au cœur de cette évidence il y avait un vide impensable. Il est urgent pourtant d'en formuler au moins l'hypothèse et d'en interroger la validité : le premier agent de l'insécurité, de la xénophobie et de la violence est devenu aujourd'hui notre gouvernement, leur principal producteur notre Etat, leur premier responsable notre président.

C'est un fait unique dans l'histoire de notre République finissante : un homme a inventé l'insécurité et la xénophobie d'Etat comme stratégie de gouvernement et arme politique. Il les a inventées et mises en œuvre méthodiquement, intentionnellement. Non seulement comme un moyen de reprendre la main quand les plus graves soupçons pèsent sur le sommet de l'Etat et sur le parti majoritaire, non comme une simple « diversion » circonstancielle et communicationnelle en période de grave crise économique et sociale, mais bien comme un continuum idéologique et une pratique politique destinée à asseoir et conserver un pouvoir qui nous fait sortir un peu plus chaque jour de la légalité républicaine, des règles démocratiques et du respect de nos institutions.

Les théories d'une rupture politique ou d'un virage récent vers l'inadmissible - « durcissement », « radicalisation », lit-on un peu partout - sont aujourd'hui insuffisantes. Sarkozy et ses conseillers ont inventé l'insécurité programmatique, l'insécurité comme programme électoral et projet politique. Ni diversion, ni dérive, mais une ligne idéologique, un choix délibéré, pensé et assumé, un système avec des fondamentaux puisés directement dans la pensée de l'extrême droite, avec son langage propre, son révisionnisme de l'histoire, son gouvernement par la peur et cette violence pure qu'il faut bien commencer à penser afin d'identifier ce contre quoi nous avons à nous battre.

On ne lira pas dans les quelques réflexions qui suivent un déni d'insécurité. Le problème social, politique, économique est bien là. Il est même criant, toujours en attente de véritables solutions malgré la vingtaine de lois relatives à la sécurité promulguées depuis 2002 sous la responsabilité directe de notre actuel président et dont on est en droit de douter de l'efficacité. Mais les cris de souffrance dans les quartiers difficiles sont aujourd'hui inaudibles, masqués par la doxa sécuritaire et xénophobe que véhiculent des médias dont la pratique quotidienne est de relayer la peur, la bêtise et la haine distillées par l'Etat et sa machine sécuritaire.

1. Un gouvernement d'exception et des silences coupables

Le débat sur l'identité nationale lancé à l'automne dernier par Eric Besson n'a certainement pas été l'échec qu'on a dit. Même critiqué par les médias, décrié par les politiques, il a fait son œuvre dans l'opinion et a largement et volontairement préparé un espace de réception favorable aux propositions irresponsables et scandaleuses de ce sombre été 2010, un été d'exception où un quart du gouvernement a été sur le pont de l'insécurité. Aussi n'a-t-on pas suffisamment remarqué que ce sont pas moins de quatre ministres qui ont porté récemment un discours guerrier et violent sur l'insécurité, comme si tout ministère de ce gouvernement Fillon finissant brûlait ses dernières cartouches en s'arrogeant la compétence de traiter des questions de sécurité : Christian Estrosi, qui voulait punir les maires du haut de son ministère de l'Industrie, Eric Besson ministre de l'Intégration, de l'Identité nationale et du si mal nommé Développement solidaire, Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la Famille et d'une singulière Solidarité, qui accuse Marianne de salir les valeurs de la République et soutient le projet d'enfermement des parents défaillants, et bien sûr Brice Hortefeux qui fait oublier sa condamnation pour injure raciale en première instance par une hyperactivité estivale au service d'un vaste programme de démantèlement des camps de Roms, d'arrestations et d'expulsions des minorités les plus fragiles.

Ce discours à multiples détentes, savamment préparé et orchestré, a été encore relayé par quelques fidèles députés de l'UMP, dont son Secrétaire général, Xavier Bertrand, qui apporta son soutien à la proposition ubuesque de Christian Estrosi et renchérit dans Nice Matin en proposant une mesure frontiste : « remettre des gardes » aux frontières de l'Europe. Ce dispositif gouvernemental, lancé et étayé idéologiquement par le sinistre discours de Grenoble, permettrait à lui seul d'asseoir la thèse d'une xénophobie d'Etat. Mais la pertinence du concept tient à ce que le traitement politique de la sécurité repose principalement, et depuis fort longtemps, sur un discours des plus hautes autorités de l'Etat qui stigmatise les minorités étrangères et certaines catégories de Français issus de l'immigration, au risque - avec la volonté - de dresser les Français les uns contre les autres.

Les puissants médias dont Sarkozy s'est attaché les services, et quelques sondages, devenus des instruments de formatage de l'opinion bien plus que des outils d'analyse, parachèvent un dispositif qui apparaîtra à certains, avec un peu de recul, comme le plus gros coup de poker politique du quinquennat : recomposer le paysage de la droite française en la déportant vers son extrême, préparer 2012 sur les terres d'une nouvelle droite nationaliste, populiste et xénophobe, et au passage faire oublier les scandales financiers, la réforme des retraites, diviser le PS, autant de manœuvres qui seraient en passe de fonctionner très bien si de nombreuses voix ne s'élevaient enfin contre cette basse manœuvre politicienne. Mais rien ne nous assure un quelconque recul de Sarkozy - tout au plus sera-t-il tactique ou de façade - et le prix à payer de ce coup politique est déjà incommensurable : un renoncement aux valeurs premières de la République.

Face à cette déferlante de discours et de propositions, tout aussi ineptes et assurément inefficaces les uns que les autres, des silences sont consternants, que nul ne pourra oublier : Fadela Amara, Rama Yade, Bernard Kouchner et Frédéric Mitterrand mangent le chapeau de leurs dernières convictions - s'il leur en reste - et sombrent dans un renoncement coupable en manquant à leur devoir élémentaire de démission. Le silence de Michèle Alliot-Marie, bien plus grave, a une autre portée : nous attendions de notre ministre de la Justice et des Libertés qu'elle se portât garante de l'indépendance de la justice et du respect du droit. Il n'en fut rien. Son comportement dans l'affaire Woerth-Bettencourt a été très bien exposé dans divers articles de la rédaction de Mediapart[ii].

Pour ce qui est de la défense des libertés, il est à craindre que les citoyens démocrates attendent longtemps l'exercice de cette responsabilité ministérielle, quand bien même le droit à la libre expression serait bafoué par l'Etat lui-même : la condamnation récente[iii] de cinq militants du Réseau Education Sans Frontières (RESF) nous apprend qu'une simple comparaison historique entre la situation présente et la période de Vichy est désormais assimilable à un délit d'opinion. Il est vrai que les poursuites pour outrage aux autorités se multiplient depuis deux ans. Eric Fassin le signalait déjà dans une Lettre au Président[iv] en juin 2009. Il est aussi vrai que « comparaison n'est pas raison », comme disait Etiemble, mais priver le penseur comme l'homme ordinaire de tout droit à l'association d'idée nous fait entrer directement dans le monde de Big Brother. Tel député UMP projetait récemment d'encadrer la liberté de la presse. Le sommet sera-t-il donc atteint quand tel autre zélateur de l'Etat-UMP proposera sérieusement l'établissement d'une censure légale?

On le voit suffisamment : les événements politiques de ces derniers mois sont d'une gravité jamais atteinte depuis les débuts de la cinquième République. La thèse d'une radicalisation tactique d'un gouvernement en difficulté et d'un président aux abois semble ne pas devoir souffrir la contradiction. Ce serait ignorer un peu vite le système idéologique fort qui conditionne la stratégie sarkoziste depuis de longues années et qui cimente des pans entiers de sa politique. Il permettrait de lire dans les événements récents un développement logique bien plus qu'une diversion ou un virage opportun et cynique.



2. Un continuum idéologique

Il y a une extrême cohérence et un continuum idéologique fort du sarkozisme et de sa praxis politique. Elle est avant tout celle d'un homme et de quelques proches, la micro-société des conseillers de l'Elysée. Elle est davantage une pratique empirique et instinctive de la politique qu'une idéologie : la provocation, le coup de force, le putsch permanent. L'idéologie advient cependant par la force d'inscription de cette pratique politique dans l'opinion. Le relais intellectuel des nouveaux réactionnaires et autres Anti-modernes a fait son œuvre. Le sujet mériterait plusieurs ouvrages de science et d'histoire politiques. De sociologie aussi. Je limite volontairement ma réflexion à quelques rappels de notre histoire récente et à la formulation de trois impostures.

Depuis cinq ans au moins Nicolas Sarkozy a ancré continument la problématique sécuritaire dans la question de l'identité nationale en lien avec l'immigration. Le tournant, si tournant il y a, est déjà ancien. Il date de 2005. Les analystes et les journalistes qui soutiennent la thèse d'un virage estival et d'une radicalisation récente ont la mémoire courte. L'année 2005 n'est pas uniquement celle du « Kärcher » et de la « racaille », ces violences verbales et provocations volontaires élevées au rang de technique de gouvernement et qui joueront un rôle certain dans le déclenchement des émeutes de l'hiver 2005.

Le ministre de l'Intérieur qui a pris ses fonctions juste après le Référendum se singularise aussi par trois types d'action qui caractérisent sa ligne de conduite politique jusqu'à ce jour. Tout d'abord l'intrusion du pouvoir de l'Intérieur dans le champ de celui de la Justice, allant jusqu'à bafouer la règle de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice. C'est bien sûr l'affaire Nelly Cremel qui vaut à Sarkozy un rappel à l'ordre du Premier ministre de l'époque, Dominique de Villepin, suite à une demande de sanction d'un juge prétendument trop laxiste. Ensuite la stigmatisation des minorités et l'amalgame entre immigration illégale et jeunes des banlieues. C'est le discours[v] musclé aux préfets du 9 septembre 2005 dans lequel Sarkozy exige une fermeté exemplaire contre tous ceux qui mettent en cause la sécurité des« Français » : « en premier lieu les gens du voyage, les jeunes des banlieues, les immigrés illégaux ». Déjà les « gens du voyage » ! Mais au passage, souvenons-nous que les Roms les avaient précédés comme toutes premières victimes de la politique du jeune ministre de l'Intérieur, dès 2002 et 2003. Je renvoie à l'article[vi] très précis et bien documenté de Caroline Damiens qui avait reconstruit en avril 2005 la sombre histoire des débuts de Sarkozy. Pour en revenir à 2005, l'injonction aux préfets sera suivie par les « rafles de sans-papiers menées au petit matin, avant le départ des enfants à l'école », lesquelles témoignent, selon Alain Gresh dans un article du Monde Diplomatique,« de l'enthousiasme que le ministre a su faire souffler dans les préfectures ». Cet « enthousiasme » n'a pas faibli malgré la longue lutte des associations de soutien aux sans-papiers. Enfin, troisième étape : l'ordre d'expulsion du territoire français de tous les étrangers condamnés pour violences urbaines. 68% des Français y sont favorables, selon le sondage IPSOS du 16 novembre 2005 pour Le Point. Le bilan est éloquent et témoigne déjà du primat des mots sur les actes : 597 personnes incarcérées mais une seule expulsion. Ce bilan est aussi éloquent sur l'implication des étrangers dans les émeutes. Nul doute que les résultats seront en 2010 bien meilleurs avec l'apport des Roms.

La succession provocation (insultes), stigmatisation (désignation de boucs émissaires), répression (incarcérations-expulsions) suffit à établir le degré de responsabilité de l'Etat dans la production de la violence et le processus de ce que je nomme l'invention sécuritaire. Ne se sont passées que peu d'années depuis 2002 sans que ce schéma ne se répète à l'initiative de Sarkozy ministre ou président.

Après la grande loi de 2006 sur l'immigration et l'intégration qui restreint considérablement les droits des étrangers, facilite et intensifie les expulsions de sans-papiers et les reconduites à la frontière, après la loi sur la prévention de la délinquance de mars 2007 qui institue la détection du trouble du comportement chez les plus jeunes enfants et autorise une sortie sur les liens entre délinquance et génétique, une seconde étape est franchie en 2007 avec l'élection à la présidentielle et la création du ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale. L'invention est unique dans une République : l'association de l'immigration et de l'identité nationale dans un ministère constitue une institutionnalisation d'un lien dont il faut rappeler qu'il appartient au Front National depuis le début des années 80. Les fondamentaux idéologiques du sarkozisme en matière de sécurité n'appartiennent-ils pas en propre à l'extrême droite ? La question mérite d'être posée. Elle permettrait de réviser un peu notre grille de lecture des cloisonnements idéologiques. La question du glissement d'une frange majoritaire de l'UMP à l'extrême droite ne se pose pas. Elle existe de fait. En tout état de cause, nous posons que c'est l'existence de ce ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale et le lien qu'il institue qui conduisent logiquement aux propositions du discours de Grenoble.

Quelle serait alors la nature du tournant de cet été 2010, sa spécificité? Je pense profondément qu'il est simplement le suivant : l'habillage républicain de l'Etat-Sarkozy est en train de tomber. Le roi a choisi de marcher nu. Car il a choisi d'exposer dans son discours de Grenoble ce qu'il savait majoritairement acceptable par l'opinion publique en fonction de sondages antérieurs. Il sait aussi en son for intérieur tout ce qu'il a accompli comme travail sur l'opinion depuis 2002, une opinion aujourd'hui suffisamment imbibée par la xénophobie d'Etat pour qu'elle accepte le principe de la déchéance de la nationalité. La relance de l'expulsion des Roms ne serait dès lors que la pilule destinée à mieux faire passer la première. Hortefeux prépare ses amendements et décrets. Le seul obstacle est la Constitution et son Conseil. Mais combien de fois Sarkozy a-t-il poussé le Conseil Constitutionnel dans ses retranchements ?

On doit enfin s'interroger sur les causes de la forte perméabilité de l'opinion au sarkozisme. Elles sont bien sûr très nombreuses et très complexes. Je n'en relèverai qu'une seule. Il me semble que le tour de force de Sarkozy est d'avoir rendu efficiente une triple imposture qui travaille en profondeur l'opinion publique et qui exige aujourd'hui, en retour, un long et patient travail de déconstruction. La première imposture est de faire croire que la France est malade d'une insécurité chronique sans causes, sinon celles de l'immigration et des minorités d'origine étrangère. La seconde est de faire croire que l'insécurité régresse - la manipulation des chiffres est permanente - en passant son temps à souffler sur ses braises et en justifiant in fine qu'une guerre s'impose. La dernière est de faire croire que lutter contre certaines minorités, les Roms en ce moment, est une mesure efficace contre l'insécurité. L'imposture se transforme en faute historique et éthique, s'il existe encore une once d'éthicité de la politique. Coup de génie d'un politicien habile, diront certains. Ce n'est certainement pas la politique d'un homme d'Etat.



3. « Liberté, Egalité, Tsigane »

En s'en prenant à la minorité des Roms, à tous ces « Bohémiens en voyage » célébrés par les écrivains, des poètes romantiques à Guillaume Apollinaire en passant par Baudelaire, le pouvoir touche les boucs émissaires des boucs émissaires, les oubliés de la déportation, non seulement les centaines de milliers de tsiganes exterminés par les nazis, mais aussi ces milliers d'autres que Vichy a parqués dans des camps innommables et que la France a laissés enfermés encore un an après la libération. En stigmatisant tous ceux auxquels Toni Gatlif a rendu, cette année même, le si bel hommage de son film Liberté (Entretien avec Toni Gatlif "Liberté, Egalité, Tsigane"[vii]), ce pouvoir cynique, sans mémoire, sans culture, rempli de tant de bêtise et de haine, prive un peuple symbole de liberté de ce qui fonde son identité : le choix d'une vie nomade, la liberté de déplacement que garantit encore pour un temps l'Union Européenne. Qu'il le fasse au moment même où des artistes et des historiens commencent à travailler à la reconnaissance de la responsabilité de la France dans l'enfermement et la mort de milliers de Roms, ne peut que remplir de honte tout citoyen qui a encore un peu de culture et d'humanité.

Car notre Etat s'en prend sciemment aux plus fragiles, aux plus vulnérables. Il sait ce qu'il fait en stigmatisant la minorité des Roms : les préjugés restent malheureusement très forts dans l'opinion publique à l'encontre des Roms et des gens du voyage, quelle que soit leur nationalité. Il sait donc très bien ce qu'il fait en associant volontairement « Roms » et « gens du voyage ». Nicolas Sarkozy sait également ce qu'il fait en reproduisant et en complétant la chaîne associative de 2005 entre insécurité, délinquance, immigration, Roms et gens du voyage. Il ne sait peut-être pas ce qu'il produit culturellement, éthiquement, donc politiquement au sens noble du terme : une faute inadmissible et une monstruosité. Une faute de mémoire, une faute historique dont le gouvernement actuel, son Premier ministre bien longtemps silencieux et aujourd'hui consentant, et le président lui-même portent et porteront durablement la responsabilité.

Cette faute est d'autant plus inadmissible que l'anti-tsiganisme ne cesse de croître dans des proportions alarmantes au niveau de toute l'Europe, en particulier en République tchèque (voir les pages 40 à 45 du rapport2009[viii] de la Commission Européenne contre le Racisme et l'Intolérance), en Hongrie et en Italie où la traque des Roms bat son plein depuis deux ans et ne fait qu'attiser la xénophobie en renforçant l'extrême-droite (il est urgent de lire à ce sujet les cinq parties de l'enquête "L'Europe au miroir des Roms"[ix] parue dans le volume Cette France-là et reprise sur l'excellent site du collectif Les mots sont importants). Sarkozy voudrait-il une fois de plus marcher sur les traces de Berlusconi qu'il ne s'y prendrait pas autrement. L'extrême droite italienne[x] vient d'ailleurs d'applaudir le président français.

En définitive peu importe au tandem Sarkozy-Hortefeux les cris d'alarme de la Commission Européenne. Peu leur importe que par leur politique l'image de la France à l'étranger soit ternie au point de perdre pour longtemps son symbole de patrie des droits de l'homme. Peu leur importe que l'ONU, le Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, les plus grands éditorialistes de la presse internationale et maintenant l'Eglise dénoncent la dérive xénophobe de la France. A défaut de fraternité, d'humanité et d'intelligence, ils ont la vérité pour eux, les « couches populaires » avec eux, comme le clame Brice Hortefeux dans son entretien au Monde : « J'assume cette vérité », « j'affirme une chose simple et vraie », dit à plusieurs reprises l'ami de trente ans du président. Cette « vérité simple » fait froid dans le dos : l'histoire nous apprend que les vérités simples font souvent le lit des totalitarismes.



4. Décomplexion et violence pure

Le petit monde de la sarkozie a imposé son langage. Il fait désormais notre époque, avec son lot de suiveurs, y compris parmi les intellectuels et les petits hommes de médias dont la puissance n'a d'égale que leur soumission crasse au pouvoir politique et aux intérêts financiers dont on sait à quel point ils sont aujourd'hui liés. Les mimes sont partout. Le trait dominant de ce langage semble être la décomplexion. Mais sa singularité réside surtout dans la violence performative de son discours qui est une violence pure.

La droite sarkoziste se proclame « décomplexée ». La polysémie du terme est riche d'enseignements. De quelle timidité ou de quelle complexe d'infériorité la droite souffrait-elle avant de se libérer ? De quelle instance surmoïque a-t-elle triomphé ? Quel tabou a-t-elle surmonté ? La réponse est presque contenue dans les questions : le Front National. Le sarkozisme décomplexé aspire depuis ses débuts à prendre le chemin suivant : les thèses et la politique de l'extrême droite sont solubles dans la République. Cette décomplexion a commencé par les formes les plus prosaïques mais aussi les plus perverses, le développement exponentiel et la popularisation de la vulgarité en politique : une libération du langage qui cultive l'insulte, le renversement des positions (« les socialistes milliardaires » ou les médias « fascistes »), le mime des préjugés populaires les plus dangereux, le dénigrement de l'intelligence et de la culture, l'annexion et le travestissement des figures historiques (Jaurès et maintenant Clemenceau), la détestation et la stigmatisation des intellectuels, etc. Les exemples sont trop nombreux et trop connus pour qu'on prenne la peine de les citer tous, même si leur étude précise est à faire et leur dénonciation à produire systématiquement.

Cette décomplexion, en elle-même inadmissible en ce qu'elle extrait définitivement l'éthique de toute pratique politique, devient condamnable quand elle conduit àune banalisation de la xénophobie. Le mime, la reprise et la « sanctuarisation » politicienne des préjugés populaires n'a jamais atteint un tel degré d'efficacité sociale. Le fonctionnement est celui d'un appel à la gratification narcissique des racistes ordinaires qui découvrent de plus en plus dans leurs gouvernants un miroir de leurs affects, de leur vécu, de leur appréhension du réel. Les « choses simples et vraies » de Brice Hortefeux. Comme si les Français ne pouvaient plus avoir accès aux choses complexes.

Alors que l'on croyait que la tâche d'un démocrate et plus encore d'un homme d'Etat était de lutter contre les préjugés les plus dangereux de l'opinion, Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux à sa suite, de nombreux autres à leur suite, ont fait dès longtemps le choix de les alimenter et de les aviver, au risque de déliter le fragile ciment social et le pacte républicain dont leurs fonctions les rendaient garants. Et n'est-ce pas une forme de violence exercée à l'encontre du peuple que d'alimenter ses préjugés ? Le recours et le retour aux valeurs et aux symboles simples de la patrie (drapeau, Marseillaise) donne la touche sérieuse et grave qui manquait à cet empire de la vulgarité. Mais on inspire difficilement le respect des symboles et des valeurs républicaines dans un contexte de rabaissement permanent de la culture, de conflits d'intérêts et de scandales financiers. Là aussi le sarkozisme est un lamentable échec, une schizophrénie politique, une invention monstrueuse.

L'Etat français nous fait baigner dans une violence politique si ordinaire que la majorité finit par ne plus la voir. Elle est pourtant profonde, proche de ce que Walter Benjamin nommait « la violence pure » dans son essai « Pour une critique de la violence », un texte difficile qu'il faudrait relire attentivement. Le champ d'exercice de cette violence pure est d'abord le langage, la parole. Le national-populisme à la manière Sarkozy a sa langue propre. Son règne est le performatif : faire que la chose advienne en la nommant. Je ne prends qu'un exemple récent, celui de Lies Hebbadj, le commerçant nantais que Hortefeux veut déchoir de sa nationalité. Préparant le terrain à son projet de décret en faisant explicitement d'un cas individuel un problème de société, le ministre de l'Intérieur a transformé le plus naturellement du monde un « mis en examen » en « présumé coupable », et ce avant même que la justice ne se soit prononcée. Il ne fait là que suivre un « droit » que s'était déjà arrogé son prédécesseur, le ministre de l'Intérieur de 2003 qui annonçait le soir même de l'arrestation d'Yvan Colonna que la police venait d'arrêter « l'assassin du préfet Erignac ». On connaît les récidives qui suivront en matière d'atteinte à la présomption d'innocence. La condamnation antérieure à l'exercice de toute justice humaine relève bien d'une violence pure dont l'équivalent est celui de la violence divine.

Faute politique, mensonge, manipulation sont choses graves. Mais le plus affolant est la performativité sociale de cette parole : elle fait exister la culpabilité en la nommant. La logique est semblable à celle de l'insulte et de la stigmatisation des minorités. Elle est encore semblable à la modalité d'une déchéance de nationalité : un juge dit : « Vous n'êtes plus français », et vous n'êtes plus français. La violence à l'état pur. C'est peut-être là l'essence de ce nouveau pouvoir, plus dangereuse parce que plus insidieuse que les thèses traditionnelles de l'extrême droite. Car, lorsqu'un pouvoir commence à s'établir sur un tel fantasme de toute-puissance, lorsque nous observons l'efficacité redoutable de cette nomination à travers les relais d'opinion, nous ne pouvons exclure que ce pouvoir tente de mettre le droit en conformité avec sa praxis et avec l'idéologie qu'il diffuse. Il est même condamné à faire exister ce qu'il énonce, sauf à discréditer entièrement sa parole et sa politique. C'est ce qu'affirme fortement Hortefeux dans son entretien au Monde : « Il y aura donc autant de textes, de lois, de règlements que la réponse au défi de la protection des Français l'exige. Je n'ai aucun complexe là-dessus ». Encore la décomplexion. On voit ici le cercle vicieux et la perversité de la parole performative : l'invention sécuritaire met non seulement l'Etat en demeure de répondre à sa parole, mais il le place aussi devant un immaîtrisable, condamné qu'il est à se nourrir de ce qu'il produit et à alimenter toujours un peu plus le monstre qu'il a créé.



5. Non la peur, mais une éthique de la résistance

Deleuze disait que le XXIe siècle verrait l'apparition d'une société de contrôle et non plus d'enfermement. Il se trompait : l'Etat-Sarkozy a réussi à nous imposer en huit ans de responsabilités politiques et un peu plus de deux années de présidence le contrôle et l'enfermement. Il n'y a jamais eu autant de monde dans les prisons, autant de jeunes dans les prisons, autant de suicides dans les prisons. Autant de suicides dans les entreprises. Même les prisonniers ont peur. Les policiers, les CRS, les pompiers ont peur. Les préfets ont peur. On finit par se demander si l'Etat n'a pas peur de la peur qu'il invente.

La peur est cause et conséquence de l'insécurité. Elle est au coeur même des réformes que le gouvernement nous impose à un rythme effréné : la peur de n'être pas un bon chercheur et de devoir enseigner plus, la peur de ne pas être "performant", la peur de l'évaluation, de la concurrence, de l'excellence, la peur du collègue, du petit chef ou du grand chef, la peur de perdre son emploi, la peur de la précarité dont le développement est exponentiel dans ce qui reste de la fonction publique et dans toute notre société. Il existe aujourd'hui au moins trois types de peurs que le pouvoir a avivés et élevés à un degré insupportable : la peur sociale (la peur ordinaire, quotidienne, celle qui tient à l'insécurité professionnelle, à la sécurité des personnes), la peur politique (celles des militants associatifs ou syndicaux, des citoyens engagés dans les luttes, de plus en plus souvent intimidés, poursuivis ou réprimés par les pouvoirs publics), enfin la peur des victimes des politiques d'exclusion, la peur quotidienne du contrôle policier pour les milliers de sans-papiers, la peur panique de l'enfant arraché à sa mère, la peur du Rom privé de sa liberté et renvoyé dans un pays où il sera persécuté. Une peur autrement plus grande que les deux premières parce qu'elle engage des vies et des destins individuels.

Même la justice, sous la pression du ministre de l'Intérieur et des préfets, est devenue un moyen de distiller une peur protéiforme. La mise au placard de certains juges[xi] - sans parler de la valse des préfets - et la politique d'abattage à laquelle sont soumis les magistrats montrent l'inféodation pernicieuse de la justice à la doctrine sécuritaire du ministère de l'Intérieur et de l'Elysée : nous vivons désormais dans un pays où le principe constitutionnel de l'indépendance des magistrats est régulièrement foulé aux pieds et où les hauts fonctionnaires un peu libres de leurs idées sont mis au pas, ou tout bonnement mis à pied. L'autoritarisme et la logique de la sanction servent une politique de la peur qui n'a jamais eu d'équivalent depuis un demi-siècle ou davantage.



Face à ce gouvernement par la peur, et avant qu'elle ne se transforme en terreur, avant que cette peur ne produise d'autres formes de peur et de violence qui nous font craindre le pire, tous les citoyens responsables doivent se lever pour dire "Non!" à cet Etat de non-droit, pour rompre le cercle de la peur en assumant le risque de l'engagement, en ignorant les possibles sanctions et en se battant à tous les niveaux de la vie sociale pour se réapproprier le discours et la pratique critique, continuer à inventer des espaces de liberté et renforcer tous ces liens que les appels et les collectifs tissent comme une toile infinie et incontrôlable contre laquelle l'Etat de peur ne peut rien.

Il faut en appeler aussi au courage politique et à la responsabilité historique et éthique des intellectuels et des journalistes. Il faut en appeler encore à nos responsables syndicaux pour qu'ils prennent la mesure du piège et des conséquences qu'un syndicalisme de cogestion fait encourir à tous les secteurs professionnels. La fin du quinquennat de Sarkozy sera sous le signe d'un syndicalisme véritablement offensif ou les syndicats prendront le risque de perdre de nouvelles batailles. Il faut en appeler enfin à une véritable pratique critique que les Sciences Humaines et Sociales se doivent de continuer à développer, aujourd'hui plus que jamais. Le programme de mise au pas et d'affaiblissement structurel des SHS ne doit pas passer. Car nous avons plus que jamais besoin de sciences sociales fortes, d'historiens vigilants et engagés, de chercheurs continuant à développer des pratiques et des théories critiques du social et du politique, d'artistes libres de leurs créations et de leurs engagements, d'artistes soutenus par l'Etat. L'université et l'ensemble des organismes de recherche qui sont devenus le terrain d'exercice et d'élaboration de l'idéologie sarkoziste se doivent de résister, par tous les moyens légaux et démocratiques qui restent à leur disposition, à la plus grande entreprise de destruction des libertés académiques et de la collégialité des universitaires jamais mise en œuvre depuis la création de l'université. Une éthique de la résistance s'impose en tous lieux où il y a de la vie sociale. Elle exige une mobilisation de toutes les forces de l'intelligence, du langage et de la création pour retrouver le sens de l'utopie et inventer des idées nouvelles contre les « vérités simples », toutes faites, jetées à l'opinion publique par des politiciens irresponsables pour seulement recueillir l'assentiment des esprit les plus démunis face à l'inadmissible.



Quand des hommes politiques ont totalement abdiqué devant la complexité du réel pour imposer l'ineptie comme vérité et la haine de l'Autre comme programme politique, ils ne méritent plus, en démocratie, le respect dû à leur fonction. Et quand ils ne cessent de déformer et d'instrumentaliser l'histoire dans un grand révisionnisme de la pensée, ils doivent s'attendre à des dénonciations vigoureuses, à la hauteur de leurs impostures. Il est grand temps, vraiment, de ne plus rien laisser passer à ce gouvernement.

Aussi la journée de rassemblements citoyens du 4 septembre sera-t-elle décisive. Celle du 7 septembre contre la réforme des retraites ne le sera pas moins. Les deux sont étroitement liées car nous savons bien que la violence et la xénophobie d'Etat font système avec la violence économique et sociale d'un gouvernement qui, en un peu plus de deux années, aura appauvri les plus pauvres, enrichi les plus riches, persécuté les plus fragiles et détruit la moitié des services publics pour les brader aux intérêts du privé. Les pétitions et les tribunes sont des armes essentielles pour alerter l'opinion publique, mais elles ne suffiront pas. On n'arrêtera pas cette folle machine sécuritaire et xénophobe sans un véritable sursaut citoyen, sans une prise de conscience individuelle et collective, sans un engagement de tous, c'est-à-dire un engagement de chacun.

L'enjeu n'est plus seulement nos libertés démocratiques fondamentales, mais ce qui les conditionne : notre liberté de penser, notre liberté d'expression, aujourd'hui remises en cause. Le temps n'est pas loin où une réflexion libre sur la violence pure sera condamnée pour « délit d'opinion » et censurée par un Etat dont la politique fait le lit de la barbarie. Mais le temps n'est pas loin non plus où les citoyens démocrates qui n'auront pas cédé à la peur, à l'indifférence ou au fatalisme, prendront leurs responsabilités, exerceront leur devoir avec courage et détermination et entreront en résistance pour mettre un terme à la politique du pire.



Pascal Maillard

Strasbourg, août 2010



* Professeur agrégé à l'université de Strasbourg, Pascal Maillard est membre du groupe de recherche POLART (Poétique et Politique de l'Art). Initiateur de l'Appel de Strasbourg, l'un des textes ayant lancé le mouvement universitaire de 2009 et dont Mediapart s'est fait le relais, il a suivi en observateur critique les événements politiques de « ce sombre été 2010 ».





http://perdre-la-raison.blogspot.com/20 ... is-de.html

[ii] http://www.mediapart.fr/journal/france/ ... upportable

[iii] http://www.liberation.fr/societe/010165 ... e-de-vichy

[iv] http://www.mediapart.fr/club/blog/eric- ... -pas-assez

[v] http://www.monde-diplomatique.fr/carnet ... nti-France

[vi] http://lmsi.net/Sarkozy-les-medias-et-l-invention

[vii] http://tony-gatlif.mondomix.com/fr/video5625.htm

[viii] http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ec ... 30-FRE.pdf

[ix] http://lmsi.net/L-Europe-au-miroir-des-Roms,1101

[x] http://www.mediapart.fr/journal/france/ ... as-sarkozy

[xi] http://www.rue89.com/blog-justice/2010/ ... ice-162991


Je sais c'est un peu long, désolée...
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Panzer

Re: Ce que vivent les Rroms

Message par Panzer » 29 août 2010 20:51

C'est quoi ce texte de merde ? :mur:

Panzer

Re: Ce que vivent les Rroms

Message par Panzer » 29 août 2010 20:53

Oui, et chacun ira dénoncer, pétitionner et aux élections n'oubliez pas de sanctionner !! :babos: :roll:

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Framboise
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Re: Ce que vivent les Rroms

Message par Framboise » 30 août 2010 9:17

Panzer, il y a une fonction "edit" : ça te permet, entre autres, d'éviter d'envoyer dix réponses d'une ligne chacune. ;)

Ensuite, tu arrives ici pour pourrir tous les topics : apparemment tu es bien connu d'un certain nombre de membres habitués et autres "piliers" du forum qui font preuve d'une grande patience avec toi. C'est leur problème : que toute discussion à laquelle tu participes soit définitivement morte, à mon avis c'est pas terrible pour la crédibilité du forum, mais bon, moi je n'y peux rien.

Tu viens attaquer sur Israël, tu nous reproche de ne rien dire sur les Roms : qu'est-ce qui t'empêche de créer un topic dédié si ce n'est pas déjà fait ? On te démontre que tu as oublié tes lunettes, que le topic existe déjà, qu'on l'alimente et, au lieu de discuter sur le fond, tu te contentes de dire qu'un des textes postés est nul ? Il est nul, pas de problème : discute, argumente et démontre pourquoi il est nul et en quoi tu n'es pas d'accord.
C'est Melvin qui avait raison : je n'aurais jamais dû commencer à discuter avec toi. Mais je peux le rassurer, c'est fini : dès que tu interviendras dans une discussion, je cesserai de te répondre et je continuerai comme si tu n'existais pas. Il y a d'ailleurs une fonction qui permet de mettre quelqu'un en "ignoré" (tes messages n'apparaissent pas pour moi) et je pense que c'est ce que je vais faire. Et d'autres feront sans doute comme moi. Pourrissage systématique, ça a un nom : tu veux pas aller faire mumuse ailleurs ? En tout cas, moi tu as fini de m'amuser
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Re: Ce que vivent les Rroms

Message par PariA » 30 août 2010 9:28

effectivement un bon rappel : dans le panneau de l'utilisateur, y'a l'onglet "amis & ignorés"
tout ceux et celles qui commencent à en avoir ras le bol des interventions hautement pertinentes du sieur Panzer sur à peu près tout les sujets d'actualités peuvent le rajouter là, en attendant que celui ci bascule probablement et définitivement dans l'exil permanent...
>> T'es vraiment un nulos Paria ! \o/ \o\ |o| /o/ \o/

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