Sur Mark Kennedy et, notamment, son implication dans l'affaire dite "de Tarnac",
lundimatin avait publié en 2015 un long article que j'avais trouvé excellent, dispo en PDF gratos en ligne :
https://lundi.am/IMG/pdf/byebyesainteloi.pdf
Extraits :
En cette année 2003, un homme s'ennuie à la Metropolitan Police de Londres. Il en a marre de chasser depuis presque dix ans les petits dealers dans la rue. Il rêve d'aventure, comme tout le monde. Cet homme s'appelle Mark Kennedy. Et la Metropolitan Police songe justement à monter une vaste équipe de James Bond à crête de punk, de 007 de l'anarchie.
Jusqu'ici, Mark Kennedy a toujours été le petit frère minable vivant dans l'ombre de son aîné, rebelle, dealer et un peu punk sur les bords, justement. C'est l'occasion de sa vie pour devenir ce qu'il n'a jamais pu être : un héros, ou du moins pour être payé à jouer le héros pour le compte des services de renseignement. Mark se fait donc tatouer. Il s'approprie la biographie de son frangin, se met à jouer de la guitare comme lui, à se faire piercer, à fréquenter les milieux anars-écolos, qu'il aura pour tâche, désormais, d'infiltrer.
Dans son nouveau rôle, tout lui sourit, en particulier les filles. Une première dans sa vie de raté. Il n'est pas le seul à accepter la délicate mission de « pénétrer » le mouvement par tous les moyens, en commençant par les relations amoureuses. Il sera finalement poursuivi pour viol en 2011, avec quatre autres de ses collègues, par une dizaine de leurs anciennes copines, mais nous n'en sommes pas encore là. Pour l'heure, il drague à tout va, s'infiltre partout, participe aux camps, à la baston avec les flics qui, un jour, lui brisent le dos, ignorant qu'ils avaient en réalité affaire à un collègue.
Ainsi, de blessure en histoire de cul, Mark Kennedy, devenu Mark Stone, « gravit les échelons », comme on dit chez les flics. De plus en plus de gens le connaissent, lui font confiance. Si, au début de sa carrière de Stone, on se défiait de lui, il fait maintenant partie du paysage. Il disparaît régulièrement pour exercer, paraît-il, son métier de cordiste ou de photographe, c'est selon. Puis réapparaît, toujours prêt à prêter son gros 4x4 pour une action. Lors de ses absences, il va faire ses rapports au service, et rend visite à sa femme, en Irlande, qui élève ses deux enfants en tenant un bouge misérable où les prolos du coin viennent se finir à la pinte.
Chaque retour à la maison, chaque fois qu'il redevient le sinistre Mark Kennedy, lui est plus intolérable. Il pense à ses copines, à ses potes, à ses actions, à toute cette vie galopante, passionnante, pleine de gens qui l'aiment et qu'il trahit goulûment. Alors, généralement, il va aux putes pour calmer son anxiété. D'année en année, il est le siège d'un divorce toujours plus prononcé entre Mark Kennedy et Mark Stone. Cette vie à être payé pour faire la fête, lutter et faire la grasse mâtinée en bonne compagnie, il ne peut plus s'en passer. Or la vérité est que ce mouvement s'épuise, que ces écolos qui ne représentent aucune menace sérieuse ne valent pas le coût faramineux de l'infiltration. Sa mission, et sa nouvelle vie, pourraient s'achever du jour au lendemain, s'il ne trouve pas un nouvel appât pour le chef.
Or justement, au niveau des chefs et des chefs des chefs, carrément au niveau des instances informelles d'Europol, la lutte contre le mouvement antiglobalisation, ce mouvement crypto-terroriste, a toujours eu la cote. Le degré d'infiltration du mouvement écolo-radical anglais est d'ailleurs devenu tellement haut que l'on se marche sur les pieds, on ne croise quasiment plus que des collègues. Il décide donc, en accord avec les chefs et les chefs des chefs, de se lancer dans l'infiltration mondiale de ce mouvement et de ses dépendances. En plus, ce qui est bien avec l'international, c'est que les défraiements sont bonnards et que tu peux raconter au patron toutes les sornettes que tu veux, il n'a aucun moyen de vérifier. Et puis, tu peux même vendre certaines informations à ton compte à des boîtes étrangères, personne le saura. T'es sur un bon terrain, là. Un terrain durable, et rentable. Valeureusement blessé en 2005 dans la bataille de Gleneagles, un contre-sommet avorté par les attentats de Londres, Mark Stone/Kennedy se met à promener ses tatouages et ses piercings dans les réunions d'organisation des contre-sommets suivants. Lorsqu'il grille un collègue qui tente de venir sur son nouveau terrain, il ne craint pas de glisser à l'oreille de tel ou tel gauchiste : « Faites gaffe à lui. Je le sens pas ce mec. Je parierais que c'est un flic. » Et il faut bien dire que ces réunions de préparation, si fréquentées, si officielles même quand elles ont lieu dans un squat, sont un repaire de flics. Chaque pays, presque chaque service, y envoie son représentant. Tout le malheur des mis en examen est d'y avoir mis les pieds une fois. Ensuite, ce fut comme le sparadrap du capitaine Haddock.
En France, il participe à des discussions politiques très générales, en assemblée ou en plus petit comité. Ici, personne ne le connaît, donc personne ne lui fait confiance. Mais rentré au service, ou le soir quand il appelle son référent qui se trouve toujours à une dizaine de kilomètres de lui avec une équipe, au cas où il faudrait l'exfiltrer précipitamment avant qu'il ne se fasse dévorer par une horde de féroces anarchistes, il faut bien qu'il vende sa vie d'oisiveté rémunérée au prix fort. Alors, il invente des bobards, il brode, il en rajoute. Il est au beau milieu du milieu du black bloc le plus enragé. Ils vont bientôt passer à l'acte, enfin pas tout de suite, mais ils ont des projets. Ils vont faire des trucs, c'est sûr. Mais pour savoir quoi, il faut continuer, continuer à voyager, à boire, à danser, à baiser. « Rien de tel pour choper de l'information que de choper des meufs, j'vous l'jure patron » : telle était la morale de flic de Kennedy ; et ce fut elle, finalement, qui le perdit.
Kennedy a été démasqué par sa propre copine en 2010. Il s'est repenti à la télévision de « tout le mal qu'il avait fait », dans une pure mise en scène de repentir chrétien. Si la mythomanie de Kennedy est un fait avéré outre-Manche où il a déclaré à peu près tout et son contraire, c'est évidemment parce qu'il avait pris l'habitude de mentir pour vivre depuis si longtemps qu'il a du mal à admettre que cela ne marche plus. Mais le fait le plus « amusant », c'est qu'à présent il porte plainte contre la Metropolitan Police pour ne pas lui avoir accordé les soins psychologiques dont il avait besoin dans sa mission d'infiltration et, en particulier, de ne pas l'avoir aidé à ne pas tomber amoureux de ceux qu'il surveillait.
Si l'affaire de Tarnac est effectivement une affaire de cinglés, c'est qu'on trouve à son origine, en dehors de constructions criminologiques et d'intérêts politiques transparents, une densité anormalement haute d'agents frappés de conduites qui relèvent très nettement du psychiatrisable. Beau comme la rencontre fortuite à la table de la section antiterroriste entre ce pervers de Bichet et ce porc de Kennedy.