Je colle ici trois textes fameux de Cavanna, parce qu'ils sont en plein dans le sujet et pour faire partager sa plume.
Avoir davantage pitié des bètes que des hommes, c'est pas bien vu chez les hommes. C'est considèré comme une sorte de désertion, de trahison, voire de perversion ou d'infirmité mentale, mais bon dieu, nous sommes hommes par hasard. Tant mieux, j'aime bien comprendre le monde.
Et c'est justement parce que je suis un homme que je puis transcender cet instinct grégaire, irréfléchi, purement animal qui fait se serrer les coudes aux hommes, les incite a diviniser l'homme par-dessus toute créature. Réflexe spontané, réflexe normal. Normal chez une oie, chez un phoque, chez un hareng.
Un homme devrait aller plus loin. C'est parce que j'essaie d'ètre vraiment, pleinement homme, c'est-à-dire une bète avec un petit quelque chose en plus, que je mets sur un pied d'égalité ce qui est homme et ce qui ne l'est pas.
M'emmerdez pas avec votre St François d'Assise, j'ai pas de paradis a gagner. Mon amour des bètes est bien autre chose qu'un attendrissement devant un mignon minet, bien autre chose qu'une lamentation devant les espèces, j'men fous, je ne suis pas un collectionneur d'espèces, des millions d'espèces ont disparu depuis que la première lave s'est figée.
Seuls m'interessent les individus. Mon horreur du meurtre, de la souffrance, du saccage, de la peur infligée fait de ma tranche de vie une descente aux enfers. Nous tous, les vivants, ne sommes nous donc pas des passagers de la mème planète?
L'homme n'a pas besoin de ma pitié : il a largement assez de la sienne propre. S'aime-t-il le bougre ! la littérature, la religion, la philosophie, la politique, l'art, la publicité, la science mème n'interessent les hommes que lorsqu'ils les mettent au premier plan, tous ne sont qu'exaltation de l'homme, incitations a aimer l'homme, déification de l'homme. Les bètes n'ont pas, si j'ose dire, la parole. Tolèrées dans la mesure où elles sont utiles, ou jolies, ou attendrissantes ou comestibles.
Les hommes les ont ingénieusement classées en animaux "utiles" et animaux "nuisibles".
Utiles ou nuisibles pour les hommes, ça va de soi. Les chinois ont patiemment détruit les oiseaux parce qu'ils mangeaient une partie du riz destiné aux chinois. De quel droit les chinois sont-ils si nombreux qu'il n'y a plus de place pour les oiseaux?
Du droit du plus fort, hé oui ! voilà qui est net ! ne venez plus m'emmerder avec votre supériorité morale. Ni avec vos bons dieux, faits a l'image de l'homme, par les hommes, pour les hommes. Si les petits cochons atomiques ne mangent pas l'humanité en route, il n'existera bientot plus la moindre bète ni la moindre plante "nuisible" ou "utile".
Le travail est déjà bien avancé et le mouvement s'accélère. La mécanisation libèrera peut-ètre l'homme du travail "servile". Elle a déjà libèré le cheval : il a disparu. On n'a plus besoin de lui pour tirer la charrue, il n'existe quasiment plus à l'état sauvage, adieu le cheval. Oui, on en gardera quelques uns, pour jouer au dada, pour le tiercé, pour le ciné, pour la nostalgie. L'insémination artificielle a déjà réduit l'espèce "boeuf" à ses seules femelles. Un taureau féconde -par la poste- des millions de vaches. Oui on s'en garde quelques-uns pour les corridas, spectacle d'une " bouleversante grandeur" où l'homme, intelligentce "sublime", affronte la bète, les yeux dans les yeux....
Oui, on se garde quelques faisans, quelques lapins, quelques cerfs...pour la chasse. On se garde quelques éléphants pour que les petits merdeux aillent les voir dans les zoos, et quelques autres dans des bouts de savane pour que les papas des merdeux aillent y faire des safaris photos après le déjeuner d'affaires.
Pourquoi je m'énerve comme ça? parce que je les voudrais semblables à ce qu'ils se vantent d'ètre, ces tas : un peu plus, un peu mieux que les autres bètes. Mais non, ils le sont, certes mais pas assez. Pas autant qu'ils le croient. A mi chemin. Et à mi-chemin entre ce que devrait etre l'homme, il y a le con. Et le con s'octroie sans problème la proprièté absolue de la terre et de tout ce qui vit dessus, et mème l'univers entier, tant qu'une espèce plus forte ou plus avancée techniquement mais tout aussi con ne l'aura traité lui-mème comme il traite ce qui est "inférieur".
"Inférieur" rien que ce mot ! il y a toute une hiérarchie.
Au sujet des abandandons d'animaux:
[...]Il faut que l’animal cesse d’être considéré comme un objet, un bien “meuble” qu’on achète, qu’on vend, qu’on cède, avec à peine quelques restrictions concernant les “mauvais traitements”, d’ailleurs bien légèrement punis. Il faut que la survenue d’un animal dans un foyer soit aussi grave, aussi importante, aussi contraignante que la naissance d’un enfant. C’est le formidable et trop prévu nombre d’abandons liés aux départs en vacances qui m’a mordu au cul. Savez-vous qu’ils font la queue aux portes des refuges, les nom d'oiseaus, avant d’aller faire bronzer leurs gueules de sales cons ? “Avec la planche à voile sur le toit de la voiture” m’a-t-on confié. Que leurs têtes, à ces sous-merdes, volent haut dans l’air, propulsées par les pales tranchantes des hélices des hors-bord, pêle-mêle avec celles des toréadors et des aficionados !
A propos de la fourrure:
On croyait avoir gagné la bataille. Plus modestement, une bataille. Cette bataille-là. Celle de la fourrure. Ça remonte à loin. Des années. Personne n’osait plus en porter. Oh, pas par amour des bêtes au poil somptueux, même pas par pitié. Par trouille.
Il y avait eu l’époque des commandos. Qui traquaient la ******* en renard ou en vison. Les filles qui s’enfermaient dans l’ascenseur avec la poufiasse fière de son chinchilla (j’écris « chinchilla », je ne sais même pas si c’est une fourrure chère, enfin, mettons) et lui déversaient un demi-litre d’encre de Chine, ou de Javel, ou carrément d’acide sur l’ondulante toison, et puis s’esbignaient à l’étage, laissant hurler la rombière. Il y avait eu les manifs, les boutiques de fourreurs saccagées. Il y avait eu nous, Charlie Hebdo, Paule l’enragée en tête… Bref, la fourrure avait reculé. Disparu, pour ainsi dire. On était bien contents.
Ça ne pouvait pas durer. Les générations de connes succèdent aux générations de connes. Et tout est à recommencer. Les couturiers et tous ceux qui peuvent se faire du fric autour du martyre des bêtes ont fait ce qu’il fallait. La fourrure est tendance, la fourrure revient en force, c’est l’invasion massive, irrésistible.
Ce ne sont plus seulement les toisons prestigieuses, les traditionnels visons, les zibelines rarissimes, cadeaux de gros cons friqués à petites connes ambitieuses, qui font le gros du trafic, mais, figurez-vous, les peaux des chats et des chiens. Très mode, très très.
En zappant comme je zappe, je tombe l’autre jour –ne me demandez pas quelle chaîne, j’ai coupé le jus avant la fin et je me suis sauvé- sur l’horreur des horreurs. Un film pris en douce par un amateur, je suppose. Un élevage de chats. Plutôt, un endroit où l’on entreposait des chats volés. Des centaines. Ah, oui : en Chine.
Des ouvriers chinois massacraient les chats. Rationnellement. Les attrapaient par les pattes de derrière, les élevaient haut en l’air et puis les abattaient, hargne donc, de toutes leurs forces sur une espèce de billot. De vrais pros. Le chat hurlait, se débattait, la sale bête, il fallait cogner encore, et encore, il n’en finissait pas de crever. D’ailleurs, on ne le contrariait pas. Tu ne veux pas clamser ? M’en fous, pourvu que tu te tiennes peinard. Et en effet, le chat, assommé mais vivant, gigotant vaguement, était sur-le-champ ouvert du haut en bas par le spécialiste, un autre, pas le même, débarrassé de sa peau en trois coups de couteau, la peau mise à sécher et le chat jeté tout palpitant dans une espèce de poubelle à roulettes où miaulait une masse sanguinolente et bien tassée de chats sans peau.
Finalement, ce n’était peut-être pas une prise de vues clandestines. Car on nous montrait complaisamment toutes les étapes du traitement des peaux jusqu’à leur finale expédition pour l’Europe. Le massacre n’était qu’une des étapes de l’opération, présentée avec la même indifférence, le même intérêt technique que les autres. Les Chinois ont beaucoup à apprendre quant à la sensiblerie occidentale. Ce film, qui se veut peut-être de propagande, leur fait du tort. Tant pis pour leurs gueules.
Je voudrais qu’il soit projeté dans tous les coins pourris où des bonnes femmes s’affublent de ces peaux volées. Qu’elles touchent du doigt ce que c’est que la prestigieuse industrie de la fourrure, ce qui se passe avant que le grand couturier la drape sur les corps de ses déesses.
Oui, je me bourre le mou. Elles le savent, tout ça, ou s’en doutent. Elles ne veulent pas le savoir. On leur racontera que ce que j’ai vu là est exceptionnel, des bandits, des clandestins, qu’en vrai tout se passe en douceur, le chat s’endort tranquille, on a fait ce qu’il faut, il est heureux de donner sa peau pour que Paris soit toujours Paris… Et elles marcheront, elles ont tellement envie… Toutes le copines ont de la fourrure de chat –on ne dira pas ça comme ça, les gars du marketing auront trouvé un mot chic, un mot mode- je ne vais pas être la seule à m’en passer ! J’aurais bonne mine tiens !
Ah, oui : les chiens. Pareil. En Chine, toujours. Cinq ou six gros lascars en train d’éclater les crânes sur des billots, sur le pavé, à tour de bras, cadences infernales, doivent pas être payés gras. Qu’ils crèvent !
Attendez-vous donc à voir rappliquer, je ne sais trop sous quelle forme, une marée d’accessoires vestimentaires à base de fourrure de chats et de chiens dans l’hiver qui vient. Savez-vous quoi ? Ils les font passer pour du synthétique i Ce qui tendrait à suggérer qu’en Chine la peau des chiens et des chats, malgré les manipulations, revient beaucoup moins cher que le Nylon ou les acryliques !
Jusqu’ici, les massacreurs de chats, chez nous, étaient des voyous ruraux qui fournissaient certaines officines fabriquant des sous-vêtements en peau de matou pour tenir au chaud les rhumatismes des vieux cons à rhumatismes. Activité d’ailleurs réprimée par la loi. Les Chinois, qui sont un grand peuple travailleur et industrieux, ont élevé la chose aux dimensions d’une entreprise nationale.
Je retire de tout ça l’impression débilitante que cet incessant combat contre la souffrance animale, que ces efforts sans cesse et sans cesse recommencés en faveur du respect de la vie, de toute vie, qui sont déjà si décevants quand on s’adresse à des peuples dits « évolués », se heurtent, hors de ce cercle restreint, à un formidable mur d’indifférence, pour ne pas dire de sadisme.